Les archives du passé sont si riches qu’elles nous permettent de connaître jusqu’aux secrets les mieux gardés des Brondillants d’antan. Ainsi en va-t-il pour leurs testaments.
Poursuivez l'Histoire : Retrouvez ici le texte complet de l'article "Histoire et Patrimoine" dont un extrait est présenté dans le magazine municipal B[r]ONjour n°52 de novembre 2025.
« Considérant l’incertitude de l’heure de la mort a tout humain assurée, aymant mieu la prévenir que d’en estre prévenu, a ces causes désirant tester et disposer de ses biens, il a fait et dicté mot a mot son testament ». Telle est la formule qu’emploie ordinairement maître Decomberousse, notaire à Villeurbanne, lorsqu’il se rend au chevet de ses clients pour recueillir leurs dernières volontés. Mais en ce vendredi 30 janvier 1750, il a accéléré sa plume car Pierre Guillermin, journalier à Bron – autrement dit, un ouvrier agricole -est au plus mal. L’homme est pourtant « consul » (maire) de notre village, et mériterait de plus grands égards, mais il se trouve « dans son lit, malade », et prêt à rendre son dernier souffle. Alors vite, le notaire écoute ce qu’il a à lui dire. Comme tout croyant de son temps, Pierre Guillermin, « après avoir donné des marques d’un bon crétien », demande que soient célébrées après son décès, rien moins que 14 messes de Requiem, pour le repos de son âme et pour celles de ses prédécesseurs. Puis il en vient à désigner les bénéficiaires de sa succession. A sa fille Gabrielle, âgée de 20 ans et donc en âge de convoler en justes noces, il lègue la coquette somme de 120 Livres, équivalente à près d’un an de salaire, ainsi qu’un beau trousseau qui garnira sa corbeille de mariée : des draps, des serviettes, des tabliers, 18 chemises, 18 coiffes, 4 « mouchoirs de col », et enfin un grand coffre en noyer pour contenir le tout.
Le droit d’ainesse prime
Et c’est tout. Mais où sont les terres ? La maison ? Ses meubles ? Sa fille Gabrielle n’aura rien de tout cela. Car en ce 18e siècle, les habitants du Dauphiné pratiquent le droit d’aînesse, et la préférence masculine. L’on parle alors du « droit préciputaire ». Tous les autres biens de Pierre Guillermin reviennent donc à son fils, et à sa femme Gabrielle Trouillet : « a fait, créé et institué et de sa propre bouche nommé pour ses héritiers universels Ennemond Guillermain son fils, et Gabrielle Trouillet sa femme, auxquels il veut et entend tous sesdits biens appartenir de plaint droit ». Le droit successoral était donc autrefois, on ne peut plus inégalitaire. Il en allait ainsi dans pratiquement toute la moitié sud de la France. Seule la moitié nord du royaume était plus généreuse, qui partageait en parts égales la succession entre tous les héritiers. Mais cette scandaleuse inégalité que pratiquaient les Brondillants d’antan, vous en aviez déjà entendu parler. Car tout le monde connaît la fable du Chat botté. Ecrite par Charles Perrault au 17e siècle, elle raconte que le meunier, sentant sa dernière heure arriver, fit venir ses trois fils. A l’aîné, il donna le moulin, et donc le nécessaire pour pouvoir gagner son pain tout au long de sa vie. A son deuxième fils, il donna son âne. Quant au troisième, il ne reçut que le chat. Un chat doué de parole et malin comme un singe, qui permit à son maître de devenir puissant et fortuné. Le conte de Perrault rendait ainsi justice aux cadets déshérités. Mais dans la vraie vie, ces derniers n’avaient comme seule solution que de rester pauvres, ou de migrer en ville ou dans un autre village pour trouver un avenir meilleur. Fort heureusement, le Code civil promulgué sous Napoléon Ier, en 1804, abolit ce système profondément injuste.
Aline Vallais
Sources : Archives du Rhône, 3 E 34249, E dépôt 29/2.