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La Borne de L'empereur

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Elle constitue sans doute le plus petit élément du patrimoine brondillant. Mais elle est aussi l’un des plus anciens monuments de notre ville. Enquête sur une pierre porteuse de toute une histoire.

Poursuivez l'Histoire : Retrouvez ici le texte complet de l'article "Histoire et Patrimoine" dont un extrait est présenté dans le magazine municipal B[r]onjour n°07 de Septembre 2021.

La borne de l’empereur est visible en bordure de l’avenue Charles-de-Gaulle.

Peut-être ne l’avez-vous jamais remarquée, car elle n’est pas bien grande. Cette borne se compose d’un unique bloc de calcaire blanc, en forme de stèle, à peine haute de 1,06 m, pour 67 cm de large et 32 cm d’épaisseur. Elle se dresse en bordure de l’avenue Charles-de-Gaulle, à deux pas de l’aéroport de Bron et juste à côté de l’entrée d’un garage Feu Vert. Sur sa face, côté route, se lisent des inscriptions gravées depuis une éternité : « 7 DE PARIS À MILAN » et, plus bas, « RHONE/ISÈRE ». Son dos, lui, ne porte rien. Et pour cause, au 20e siècle cette pierre était située contre le mur du « café-restaurant de la frontière ».

Une frontière, ici ? Oui, il y en a bien une, qui passe exactement au milieu de la borne, matérialisée par un grand trait vertical creusé dans le calcaire : la frontière qui sépare le territoire de Bron de celui de Saint-Priest. Sauf que ce n’est pas ce qu’indique notre borne, avec son « RHONE/ISÈRE ». Remontons donc le temps. Il y a un demi-siècle, par une loi du 29 décembre 1967, 23 communes iséroises sont annexées au département du Rhône, dont Saint-Priest. Ainsi, jusqu’à l’aube de 1968, la limite du département de l’Isère passait effectivement par la borne brondillante. Depuis quand était-ce le cas ? Précisément depuis 1852, quand Bron fut elle-même rattachée au département du Rhône.

Notre vieille borne de pierre daterait donc de 1852, à l’époque du Second Empire de Napoléon III. Elle serait ainsi aussi vieille que l’église Saint-Denis. Mais problème, il y a un détail qui cloche. Le nom même de la route, indiqué par la gravure : « DE PARIS À MILAN ». En principe, l’on identifie un grand axe routier du nom de ses deux extrémités en France, et non par le nom d’une ville étrangère : ainsi, l’autoroute A43 va de Lyon à Modane, et non de Lyon à Turin ou à Gênes. À moins que… Il y a bien une époque durant laquelle nos actuelles avenues Franklin-Roosevelt et Charles-de-Gaulle constituèrent une grande route traversant les Alpes de part en part, sans pour autant quitter le territoire français : au temps de Napoléon Ier, sous le Premier Empire (1804-1815).

“Ils grognaient, et le suivaient toujours” (1836). Illustration des Grognards par Auguste Raffet, dessinateur, graveur et peintre français réputé pour son rôle notable dans la diffusion de l’épopée napoléonienne.
Carte des routes impériales

Sous ce Premier Empire, une partie de l’Italie était annexée à la France et découpée en départements. L’on imagine alors, les troupes de Grognards défilant devant notre borne, par dizaines de milliers, pour gagner la plaine du Pô, de l’autre côté des cimes… Et de fait, un autre détail prouve l’origine napoléonienne de cette vieille borne, son numéro. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, l’avenue Franklin-Roosevelt et l’avenue Charles-de-Gaulle constituaient une section de la route nationale 6. 6, et non 7, comme indiqué sur la borne. Le graveur aurait-il fait une erreur ? Non, car lorsque Napoléon Ier décida de numéroter les routes impériales, en 1811, l’on donna le numéro 7 à la grande route de Paris à Milan. La « route impériale n° 7 » ne devint route n° 6 qu’en 1824, sous le roi Louis XVIII.

Les choses s’éclaircissent. Cette borne a donc été érigée à Bron entre 1811 et 1824, et plus vraisemblablement entre 1811 et 1815. Elle constitue ce faisant, le troisième plus ancien monument de notre ville, juste après la maison forte du quartier de la place Curial et le manoir des Essarts.
Pas mal, pour une simple borne !

Frontière du Dauphiné et du Lyonnais, d’après la carte de Cassini (vers 1750)

Aline Vallais
Sources : décret du 16 décembre 1811 sur la classification des routes, pp. 92-93.

 

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