Ces redevances étaient détestées, bien plus que nos impôts. Et pourtant, il fallait bien les payer, sinon gare ! Certains Brondillants en firent ainsi les frais.
Poursuivez l'Histoire : Retrouvez ici le texte complet de l'article "Histoire et Patrimoine" dont un extrait est présenté dans le magazine municipal B[r]ONjour n°32 de Janvier 2024.
Nous sommes en 1750, le jour de la Toussaint. Une longue procession de Brondillants attend patiemment son tour devant la porte du château de messire André-Emmanuel de Laube, le seigneur du village. Viennent-ils fêter un évènement heureux ? Réclamer du travail ? Obtenir une aide ? Point du tout. Tous sont venus verser au sire les redevances seigneuriales qu’ils lui doivent tous les ans. Chacun d’eux porte ainsi deux poules, et deux bichets de seigle, soit 40 litres de grains. Possèdent-ils des bœufs pour labourer leurs champs ? Très bien, le tarif sera doublé ! Voilà de quoi remplir la basse-cour et les greniers du seigneur, d’au moins 120 poules et 4500 à 9000 litres de seigle, soit bien plus qu’il n’en faut pour le nourrir lui et sa famille pendant toute l’année. Et ce n’est pas tout. Les Brondillants « tenant labourage », autrement dit des animaux de trait, lui doivent encore « quatre corvées de tout bétail a bœufs ou autres », à savoir quatre journées de travail gratuit, pour couper du bois, labourer ses champs ou creuser des fossés, à faire au début de l’automne et au début du printemps. Ah, j’oubliais ces quelques « cens », de petites sommes d’argent payables pour chaque parcelle possédée…
Un impôt qui n’a plus de « cens » !
Mais de quel droit cet aristocrate taxe-t-il ainsi nos concitoyens d’hier ? De surcroît en plein siècle des Lumières, alors que des Rousseau, des Diderot et des Voltaire appellent la société à d’autres rapports humains, plus égalitaires ? L’affaire n’est pas nouvelle, et remonte au Moyen Age. A cette époque les villageois n’étaient pas des gens libres car leurs biens et leur personne appartenaient au seigneur. Les « serfs », ainsi qu’on les appelait, devaient à ce titre les servir gratuitement comme s’ils étaient des esclaves, et verser une part plus ou moins importante de leurs récoltes. Au moment de leur décès, ils pouvaient même voir leur propre maison confisquée par le seigneur, au titre de la « mainmorte ». Mais au fil du Moyen Age cette sujétion s’atténua, les villageois finirent par avoir le droit de posséder des biens, tandis que le roi Louis X abolit le servage en 1315. Les droits seigneuriaux furent les derniers vestiges du servage à se maintenir tout au long de l’Ancien Régime. Etaient-ils acceptés pour autant ? Non, et loin s’en faut ! Ils restaient très impopulaires, et suscitaient parfois de violentes révoltes. L’opposition individuelle se manifestait aussi. Comme celle de Jean Guinet et de Louis Gonnet, des habitants de Parilly. Dans les années 1740, ces deux-là refusèrent purement et simplement de verser les droits seigneuriaux et de faire les corvées. Colère du seigneur, qui porta l’affaire devant le tribunal de Vienne. Nos Brondillants furent évidemment condamnés, et durent promettre devant notaire, « qu’ils ne pouvoient éviter ny se dispenser de reconnoitre et payer lesdits droits ». Quelques décennies plus tard, ils n’en furent pas moins vengés. Lors de l’été 1789, les révoltes générales de la Grande Peur amenèrent, le 4 août, l’Assemblée nationale à supprimer les privilèges seigneuriaux. Un peu plus tard, les Brondillants se rendirent au château, exigèrent les registres dans lesquels ces droits honnis étaient consignés – les fameux « terriers » -, et les firent joyeusement flamber.
Aline Vallais
Sources : Archives du Rhône, 3 E 34249 ; Archives de l’Isère, 2 C 318.