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Au temps du Francoprovençal

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Les Brondillants d’antan ne parlaient pas comme nous. Ils utilisaient une langue particulière, le francoprovençal, aujourd’hui presque oubliée en France.

Poursuivez l'Histoire : Retrouvez ici le texte complet de l'article "Histoire et Patrimoine" dont un extrait est présenté dans le magazine municipal B[r]onjour n°19 de novembre 2022.

« N’as-tu vê lo mzétou ? ». « Ouè, din la vie courte, prés le trievoz ». « L’étoit point à la boutasse ? ». « Nan monchu ». Avez-vous compris ce bref échange, que l’on aurait pu entendre dans une ferme de Bron il y a deux-cents ou trois-cents ans ? Sans doute pas. Pourtant, ce dialogue est on ne peut plus simple. Il signifie : « As-tu vu le chat ? Oui, dans le petit chemin, près du carrefour. Il n’était pas à la mare ? Non monsieur ». Mais oui bien sûr, le mzétou c’est le matou, et le monchu, le monsieur ! Finalement, vous saisissez un peu le francoprovençal.

Une transition entre langue d'Oc et langue d'Oïl

Et pour cause. Cette langue fut parlée pendant des siècles dans notre région et dans ses environs par des millions de personnes : en Lyonnais, mais aussi en Beaujolais, en Forez, dans le département de l’Ain, en Franche-Comté, en Suisse romande, en Savoie, en Haute-Savoie, dans le nord-ouest de l’Italie – et plus précisément en val d’Aoste et en val de Suse. Et bien sûr à Bron et dans une large partie du Dauphiné, au-dessus d’une ligne reliant Grenoble à Valence. Au nord de cette aire linguistique, l’on entrait dans le domaine du français, tandis qu’au sud s’ouvraient les terres de la langue d’oc et du provençal. Le francoprovençal assurait ainsi une sorte de transition entre français et occitan : un voyageur venant de Paris et passant par chez nous, aurait cessé de comprendre en arrivant vers Mâcon, tandis qu’il aurait cessé d’être compris en arrivant à Valence.

Le francoprovençal était parlé tous les jours par les gens du peuple, alors que les élites lui préféraient le français. Mais il avait aussi ses auteurs littéraires, comme François Blanc dit La Goutte (1662-1742), un Grenoblois qui écrivit en 1733 un ouvrage en vers intitulé Grenoblo malhérou, racontant des inondations arrivées dans la ville, et qu’il commence en décrivant sa mauvaise santé. Extrait : « Je voudrin bien povey faire uvri voutra porta, Intra chieu vou, Monsieur, vous leva mon chapet, Mais d’avez ce l’honnou l’esperanci s’envole, Je seu tout rebuti, la goutta me désole, Je ne poey plus marchié, décendre ni monta, A pompon-lorion je me foey charronta, A pena din le man poey-je teni mon libro, Je n’ai plu que lou zieux et quatre deigt de libro ». « A peine dans la main puis-je tenir mon livre, je n’ai plus que les yeux et quatre doigts de libre », disent les dernières phrases.

À l'origine de nos expressions d'aujourd'hui

Malgré une orthographe toute de bizangouin, si vous lisez à voix haute vous comprendrez certaines expressions, elles sont bien d’aplomb. En fait, cette langue résonne encore à nos oreilles, d’autant plus que l’on continue à la parler un peu, sans le savoir. Ces mots d’enfants, ces mots d’argot que vous utilisez parfois, ne sont ni inventés par des gones, ni le fruit de la rue. Ils viennent tout droit des siècles passés.

La preuve, vous la trouvez avec ceux que je viens de mettre en italique. Ou encore avec ceux-ci : des matefaims (crêpes épaisses), des plosses (prunelles sauvages), la balme (une grotte, un versant), une pataflée ou un cuchon (une grosse quantité), cramer (brûler), aller au coiffeur (au lieu de chez le coiffeur), être à la bade (au loin), ramier (fainéant), potafiner (se gratter la peau, ou faire du fromage fort), tu me fais flique, tu vas recevoir ! Autant d’héritages d’un patrimoine linguistique qu’il vous appartient de cultiver précieusement, et de transmettre à votre tour à vos gones.

Aline Vallais
Sources : Archives du Rhône, E dépôt 29/2

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