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L’apprentissage pour un meilleur avenir

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Forge de maréchal-ferrant en Dauphiné vers 1850.
© Collection Bibliothèque municipale de Grenoble

Aux 17e et 18e siècles, de nombreux Brondillants choisirent d’apprendre un métier artisanal pour échapper à la misère de la terre.

Poursuivez l'Histoire : Retrouvez ici le texte complet de l'article "Histoire et Patrimoine" dont un extrait est présenté dans le magazine municipal B[r]onjour n°12 de février 2022.

Partir à l’armée à la place de quelqu’un d’autre : voilà la solution ! Âgé de 19 ans, le Brondillant Claude Michillon a enfin trouvé comment toucher une bourse bien garnie. En échange de 200 livres, l’équivalent d’un an de salaire d’un ouvrier agricole, il se porte volontaire pour remplacer le fils d’un Lyonnais cossu, appelé à servir dans la milice royale. Avec un peu de chance, il s’en sortira sans aller à la guerre, et sans se faire trouer la peau. Il faut dire que Claude Michillon n’est pas né sous une très bonne étoile. Fils cadet d’un paysan de « Saint Victor en Dauphiné », près de La Tour-du-Pin, il n’a eu droit à aucun héritage, comme dans le conte du Chat Botté. Alors qu’avec l’argent qu’il vient de gagner, il va enfin pouvoir apprendre un métier. Ni une ni deux, il se rend chez l’un des cordonniers de Bron, maître Antoine Terrier, et, le 30 octobre 1767, conclut avec lui un contrat d’apprentissage. Moyennant 150 livres, maître Terrier s’engage à lui apprendre pendant deux ans tous les secrets de son art. Il commencera par les gestes les plus simples, par exemple découdre une chaussure usagée, puis, petit à petit, il lui enseignera les tours de main plus élaborés, comme couper le cuir et l’assembler sur les formes de souliers en bois, sans oublier la manière d’aborder les clients : avec toute la diplomatie nécessaire pour négocier les prix et les délais de paiement. Dame, il y en a qui ne règlent leurs souliers qu’après deux ou trois ans !

Bien travailler : l’apprenti y a tout intérêt, car l’apprentissage le lancera dans la vie

Sur la façade de cette ancienne forge de maréchal-ferrant, une curiosité, méconnue du patrimoine brondillant, très rare dans la région : un bouquet de saint Éloi. Saint-Éloi vivait au temps du roi Dagobert, au 7e siècle. Orfèvre de métier, comptant parmi
les plus doués de son temps, il aurait fabriqué le trône royal et une foule de merveilles, au point que Jésus-Christ lui-même serait venu dans son atelier pour vérifier son habileté !

Pendant tout le temps de son apprentissage, Claude Michillon sera traité par le cordonnier Terrier comme s’il était son propre rejeton : il « sera nourri et couché comme le maître », précise son contrat. En échange, l’apprenti s’engage « d’estre assidu a la boutique », autrement dit d’y travailler six jours par semaine pendant dix à quinze heures d’affilée, et de ne jamais s’absenter sans autorisation « sous quelques prétextes que ce soit ». Tout juste les maîtres consentent-ils, lorsque l’argent manque à l’appel pour régler la facture de l’apprentissage, que leurs élèves  partent de l’atelier pendant un mois ou deux gagner un peu de sous en faisant les moissons et en battant les blés. En cas d’absence injustifiée, gare !, le contrat pourra être rompu sans aucune indemnité. Mais plutôt que de menacer son élève, maître Terrier préfère agir avec bienveillance ; comme en 1772, lorsqu’il promet à l’un de ses autres  apprentis de faire « deux paires de souliers pour luy dont la marchandise luy sera fournie par ledit Terrier a ses fraix, et cest pour lengager a bien travailler ». Bien travailler : l’apprenti y a tout intérêt, car l’apprentissage le lancera  dans la vie. Au lieu de passer toute son existence à trimer dans les champs d’autrui en échange d’un salaire de  misère, il aura désormais de l’or dans les mains, et la possibilité de devenir à son tour un maître artisan. Le journalier ou le domestique d’hier se muera ainsi en  cordonnier, en tailleur d’habits, en maçon, en charpentier, en maréchal-ferrant, en boucher ou en boulanger, tous métiers présents à Bron sous l’Ancien Régime, ce qui le mettra à l’abri du besoin et le placera peu ou prou au milieu  de l’échelle sociale. Alors parlera-t-on à maître Michillon  avec la même déférence que si l’on s’adressait au notaire du village.

La Forge. Ce tableau de Le Nain, créé en 1642-1643, est exposé au Louvres. Il donne une vision de l’artisanat au 17e-18e siècle.

Aline Vallais
Sources : Archives du Rhône, 3 E 34238, 34240, 34241 et 34252. Archives de l’Isère, 4 E 581/3 (baptême de Claude  Muet-Michillon, 4/6/1748)

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