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Le temps des colporteurs

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Ils allaient de village en village, porter des marchandises ouvrant la porte aux rêves. Regard sur ces personnages autrefois familiers.

Poursuivez l'Histoire : Retrouvez ici le texte complet de l'article "Histoire et Patrimoine" dont un extrait est présenté dans le magazine municipal B[r]onjour n°18 d'octobre 2022.

Claude Bovat s’est annoncé en fanfare. En arrivant à hauteur des premières maisons de Bron, il a crié à tue-tête son métier - « colporteur, colporteur ! ». Aussitôt les enfants puis les femmes se sont approchés. Sa venue était attendue, car en ce mois de septembre 1787, comme à chaque automne, les gens de nos montagnes descendaient de leurs villages haut perchés pour gagner les plaines, leurs travaux des champs étant terminés, et la neige pas encore tombée, qui aurait compliqué leurs déplacements. Ces colporteurs partaient ainsi par milliers, les uns de Savoie, d’autres d’Oisans ou du Briançonnais, toutes régions qui s’étaient spécialisées dans cette activité depuis la fin du Moyen Age. Claude Bovat, lui, était né au Grand-Lemps, une commune située entre Voiron et La Côte-Saint-André, mais il avait migré en val de Suse, aux portes de Turin, où il avait épousé une fille de Césane d’Oulx. C’est de là, peut-être, que le couple était parti sur les routes, accomplissant en quelques semaines les 230 kilomètres les séparant de Bron. Une distance faite à pied évidemment, comme tous les colporteurs. Leur tournée pouvait les emmener très loin de leur contrée d’origine : comme les frères Bittot, issus de Tarentaise, et qui au début du 17e siècle allaient jusque dans les Pays-Bas, l’Allemagne et même la Pologne.

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Transmetteur de nouvelles

Tous charriaient avec eux leur « balle », de grosses caisses contenant leur marchandise. Les colporteurs pauvres n’en avaient qu’une seule, qu’ils portaient sur leur dos, « à col ». Les plus aisés en charriaient plusieurs, transportées par des chevaux – tel devait être le cas de notre Claude Bovat. Les balles contenaient des centaines, des milliers d’objets introuvables au village : de beaux tissus de coton peints de couleurs vives, des rubans de soie, des ceintures de peau, du fil, des épingles, du sucre, des épices, des graines de fleurs et de légumes, des livres de prières, des contes à deux sous, des couteaux de Thiers, des lunettes, des bagues – bref, tout un bric-à-brac à faire courir ventre à terre les Brondillantes et les Brondillants. D’autant plus que les colporteurs faisaient crédit : « tu me payeras l’année prochaine », disaient-ils à leur clientèle, afin de les fidéliser. Ces personnages étaient aussi très appréciés car ils véhiculaient avec eux les modes de la ville, et donnaient des nouvelles de pays lointains : l’on apprenait en les écoutant où en était la guerre menée dans des contrées que l’on aurait été bien incapable de situer sur une carte, ou bien telle ou telle découverte fabuleuse, fut-elle vraie ou un peu le fruit de leur imagination.

La mort d'un métier

Les colporteurs passaient en nombre à Bron, du fait de la proximité de notre commune avec Lyon, où ils allaient s’approvisionner en marchandises. Ainsi, pour les seules années 1787 à 1789, les registres du curé du village mentionnent Claude Bovat, « mercier de petites merceries quil vend a la campagne », Jean Lesbrot  un Grenoblois « vendant dans les parroisses des mousselines, indiennes, merceries », et aussi « Louis Richard faiseur de bouquets natif de Veynes prez de Gap ». La migration de ces Alpins dura jusqu’au 19e siècle inclus. Puis elle s’étiola pour finalement disparaître au cours du 20e siècle, victime de la vente par correspondance et de la généralisation des petits commerces sédentaires.

Aline Vallais
Sources : Archives du Rhône, E dépôt 29/2

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