15192

Grandeur et décadence

Off
Hôtel Klinglin à Strasbourg
© A. Prévot

Il vécut pendant longtemps comme un prince dans sa ville d’origine. Mais, poursuivi sans relâche, François-Christophe-Honoré de Klinglin trouva refuge à Bron, qui fut pour lui sa dernière maison.

Poursuivez l'Histoire : Retrouvez ici le texte complet de l'article "Histoire et Patrimoine" dont un extrait est présenté dans le magazine municipal B[r]ONjour n°21 de Janvier 2023.

Il habitait à la cure, sous le même toit que messire Rey, le curé du village. Dormant dans une petite chambre, au rez-de-chaussée du bâtiment, il n’en sortait que vêtu d’un habit de soie usé jusqu’à la corde, mais portait fièrement sa perruque blanche et se poudrait le visage, désireux qu’il était de maintenir son rang, malgré les heures sombres qu’avait vécues ce grand monsieur déchu.

Les Brondillants eurent toujours du mal à prononcer son nom. Ils l’appelaient « Monsieur de Klin-Klin », en se trompant allègrement. Il est vrai que François-Christophe-Honoré de Klinglin parlait français avec un fort accent allemand, ou plutôt alsacien. Il était né en 1719 à Strasbourg, dans une famille cousue d’or. Son père, François-Joseph de Klinglin (1686-1753), avait en effet été nommé par Louis XV « prêteur royal ». À ce titre, il était à Strasbourg l’oeil, l’oreille et le bras du roi, siégeant dans les assemblées politiques et dans les cours de justice comme si le souverain était lui-même présent en Alsace. De même, ce père frayait avec la haute noblesse, cumulant les seigneuries à ne plus savoir qu’en faire. Puis vint le joyau de sa couronne. Après avoir acheté un terrain sur l’île de Strasbourg, à deux pas ou presque de la cathédrale, François-Joseph de Klinglin fit construire de 1731 à 1736 un hôtel particulier aux allures de palais. Il se dresse toujours là, entre la rue Brûlée et le quai Lezay, avec sa façade aux 44 fenêtres, ses toits mansardés et ses pierres en grès rose, si typiques de la capitale alsacienne. Parvenu au faîte de sa puissance, François-Joseph de Klinglin transmis sa charge de prêteur royal à son fils François-Christophe- Honoré, notre « Monsieur de Klin-Klin ». Celui-ci s’empressa de mettre ses pas dans ceux de son père, et mena comme lui grand train dans le palais familial.

Lorsqu’arriva la chute, les Klinglin avaient par trop abusé des Strasbourgeois, multipliant les pots-de-vin, pillant sans réserve les deniers publics – au point de faire payer leur palais par la ville de Strasbourg et la province d’Alsace. L’opinion publique finit par se retourner contre eux, et vint le couperet : le père fut arrêté en 1752 et mourut en prison, tandis que le fils, accusé de concussion et d’abus de pouvoir, fut emprisonné à Grenoble. Une longue procédure suivit, qui lava le fils d’une partie des griefs portés contre lui. Mais « Monsieur de Klin-Klin » n’en fut pas moins emmené à Lyon et enfermé dans le château de Pierre-Scize, la prison de la ville. Il en sortit en 1757 et fut assigné à résidence à Lyon. Dès lors, il partagea son temps entre la capitale des Gaules et notre commune.

Pourquoi à Bron ? Mystère. Peut-être le désir de se faire oublier, ou tout simplement la pauvreté qui désormais l’accablait. Toujours est-il que la cure de Bron devint son royaume, et ce pendant quinze ans. Il vécut là entre ses 146 livres, un portrait de sa femme et la compagnie des Brondillants, mâtinée de temps en temps par la visite d’un ecclésiastique ou d’un aristocrate. Puis il mourut le 20 décembre 1772, et fut enterré au pied de l’église du village. Trois mois plus tard, le notaire de Villeurbanne vint inventorier ses quelques biens à Bron, ramenant ainsi Monsieur de Klinglin jusque sur cette page de B[r]ONjour.

Aline Vallais

Sources : Archives du Rhône, 3 E 34235, f° 196. N.-F. Cochard, Archives historiques et statistiques du département du Rhône, St Alban, p. 83.

Vous n'avez pas trouvé ce que vous cherchiez ?

Rechercher