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Sorj Chalandon

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Portrait de Sorj Chalandon
DR

"J'écris pour que des douleurs se referment"

Ancien reporter de guerre pour Libération, Prix Albert Londres en 1988, Sorj Chalandon est l’auteur de six romans dont "Une promesse" (Prix Médicis 2006), "Retour à Killybegs" (Grand Prix de l’Académie Française 2011).
Son dernier livre, "Le Quatrième Mur" revient sur la guerre civile au Liban qu’il a couverte en tant que journaliste et pour lequel, il a remporté le Prix Goncourt des lycéens.

Rencontre avec un écrivain qui déjoue tous les plans

Bron Magazine : Peut-on dire que le personnage principal de votre roman opte pour un plan B en acceptant de partir au Liban ?

Sorj Chalandon : Il s’agit plutôt d’un plan A ! Georges a fait une promesse à son ami sur son lit de mort : aller monter "Antigone" à Beyrouth. Il n’a pas d’échappatoire. En revanche, ce qui peut être vécu comme un plan B, c’est que lui part pour monter cette pièce, non pas pour faire la paix parce qu’on ne fait pas la paix avec une pièce de théâtre, mais parce qu’il est persuadé qu’il est possible d’instaurer une sorte de trêve poétique le temps d’une représentation.

BM : À un moment, Georges veut mettre “de la distance entre le sang et lui”. C’est ce que vous avez voulu faire en passant à la littérature ? En écrivant des romans, n’avez-vous pas inventé votre propre plan B ?

SC : Au contraire. Lorsque je suis rentré dans Sabra et Chatila en tant que journaliste, lorsque j’écrivais des articles, je mettais de la distance entre le sang et moi.
Avec la littérature, c’est l’inverse. J’écris pour pouvoir dire "je", enfin ! Pour me réapproprier mon propre désarroi face à un massacre. Je ne choisis pas la fiction pour mettre de la distance mais pour m’y plonger. Et tant pis si je m’appelle Georges, je suis beaucoup plus entier dans ce livre, malgré ce masque. En rentrant du Liban, je me suis tu.
Des gens que j’aime ont découvert des choses à la lecture de ce livre. Georges, c’est ma part d’ombre qu’il fallait que je sacrifie. Avec lui, j’ai fracassé mes doutes, ma colère pour revenir un peu plus serein. Il a fallu plus de 30 ans, pour que cela puisse être écrit. J’écris pour que des douleurs se referment. Et pour en finir avec ces blessures intimes, il n’y a qu’un moyen, c’est raconter et ensuite partager.

BM : Que pensez-vous de votre Goncourt des lycéens?

SC : C’était inespéré : je pensais que mon roman était trop âpre, trop dur.

Les lycéens m’ont dit que c’était un livre qui leur faisait se souvenir que la paix était un bien absolument précieux.

Ce qui les a intéressés : c’est notre fragilité, la façon dont on peut se perdre. C’est un livre où il n’y a peut-être pas beaucoup d’espoir mais en fait, ils m’ont dit que l’espoir
n’est pas dans le livre, c’est le livre lui-même, qu’un homme ait pu écrire ce livre et qu’il en soit revenu et ait décidé que la vie était plus forte.

BM : Le 15 février à Bron, à la Fête du Livre, vous participez à deux temps forts : une rencontre avec Jean Hatzfeld et Face B, une présentation de la référence musicale de votre livre. Que pouvez-vous en dire?

SC : On a travaillé ensemble avec Jean, notamment à Beyrouth. J’aime bien quand on se retrouve. Nous sommes deux journalistes qui passons par la fiction pour raconter ce que notre journal n’a pas pu recevoir de nous.
Sinon, pour Face B, chaque fois que j’écris un roman, je l’associe à une ambiance musicale. Là, c’était le “Pie Jesu” de Duruflé, chanté par Cécilia Bartoli. Je l’ai écouté en boucle pendant 2 ans. Ça m’a aidé, guidé, protégé pendant toute l’écriture. Pour moi, c’est plus qu’une musique : c’est mon environnement poétique.

BM : C’est la 2e fois que vous venez à la Fête du Livre de Bron. Qu’appréciez-vous dans cet événement ?

SC : L’organisation, mais surtout j’ai un souvenir de gentillesse, chose qui n’est pas commune à tous les salons. La Fête du Livre se passe dans un hippodrome. Un lieu invraisemblable, un brin désuet mais très beau. En plus, j’ai passé toute mon enfance à Lyon. Quand j’avais 14 ans, j’avais un Solex et avec les copains, on s’évadait. On quittait Lyon pour aller notamment jusqu’à Bron. À l’époque, pour moi, c’était le bout du monde !
Nos envies de fuir passaient par ces lieux que l’on ne connaissait pas, où tout était possible... Bron était l’un de ces noms qui signifiait la fin de Lyon et le début d’autre chose...

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