La guerre de 1870 entre la France et la Prusse rendit populaires les bouquets de fleurs en verre et surtout les grandes couronnes mortuaires faites de milliers de perles, en verre elles aussi. Elles eurent un succès tel que chacun voulut orner le tombeau familial de ces décorations au parfum d’Italie. On les faisait venir de la lagune de Venise, de l’île de Murano précisément, où depuis le Moyen Age travaillaient les meilleurs maîtres verriers d’Europe. Dans la région lyonnaise, ces perles vénitiennes étaient importées par l’entreprise Mazoyer dont les magasins, rue de la République, les vendait un prix fou. Les verriers de Murano comprirent qu’il y avait là un créneau à prendre. En 1906 les familles Barbini, Scolari et Salvadori, fondent en contrebas de l’actuel hôpital cardiologique la première usine de fabrication de perles de l’agglomération. L’endroit est bien choisi car il est proche d’une carrière où l’on extrait le sable fin indispensable à la fabrication du verre, et suffisamment isolé pour ne pas gêner les maisons du voisinage avec la fumée des cheminées.
D’abord appelée "Société lyonnaise de perles, tubes et jais", l’usine change de dénomination en 1912 et devient la "Société vénitienne de la perle". Elle connaît alors son âge d’or, en employant plus d’une centaine d’ouvriers dont 62 syndiqués à la CGT en 1920 – et ce sans compter les enfants de 11 à 15 ans, employés comme manoeuvres. Le travail s’effectue dans des conditions pénibles, dans la chaleur et la fumée crachées par les fours chauffés à plus de 1000 degrés. Le verrier retire du brasier une masse de verre en fusion grosse comme un petit ballon, qu’il perce en son centre. Puis deux aides étirent la matière en courant dans l’atelier en sens opposés, chaque mètre parcouru affinant un peu plus le verre, jusqu’à le rendre plus mince qu’une cordelette. Alors on coupe ce fin tube en des milliers de cubes de quelques millimètres, qui placés dans un cylindre rotatif violemment agité se muent en perles rondes et colorées, que les femmes et les enfants trient patiemment selon leurs dimensions – les plus petites ne sont pas plus grosses qu’une tête d’épingle ! La scène a pour théâtre un grand hangar à charpente de bois, pourvu d’immenses fenêtres et au sommet duquel trône une enseigne proclamant la vocation de "l’usine de la Perle".
Au fil des années, le recrutement de la main-d’œuvre se diversifie. Les Italiens comme Régis Malone, Louis Catony et Gino Ravanello, sont rejoints par des ouvriers français tels qu’Henri Stephanut ou Jean Desjouis. Ils habitent dans des petites maisons spécialement construites pour eux aux abords de l’usine, mais aussi à Villeurbanne et jusque dans les vieux quartiers de Lyon. Passé la Deuxième guerre mondiale, l’établissement est en perte de vitesse, victime de la concurrence d’autres usines et surtout du déclin des décors à base de perles en verre. Il ferme ses portes en 1958 et ses bâtiments sont rasés. Il reste de cette greffe vénitienne le nom de la "rue de la Perle", située à l’endroit où se dressait le Murano brondillant.
Cette usine de la Perle fut l'un des rares établissements industriels implanté à Bron au cours des siècles passés. Hormis quelques sociétés situées près de la route de Genas, aux Essarts ou le long de l'avenue Franklin-Roosevelt, comme l'usine de moteurs Guyot, notre ville n'accueillit que des ateliers artisanaux et resta résolument attachée à sa vocation agricole puis pavillonnaire. Bron préférait le grand air aux fumées de l'ère industrielle. L'établissement devant lequel vous vous trouvez maintenant est l'un des derniers témoins de ce passé usinier. Déjà présents en 1921, ses bâtiments à l'architecture caractéristique de l'Art Nouveau accueillirent d'abord la manufacture de bijoux Jacquet, avant de céder la place en 1944 aux lingeries Alloin-Raffin, puis à diverses entreprises. Il fallut attendre 1985 et 1990 pour que Bron développe enfin son secteur industriel, à travers deux zones d'activités fortes de 270 sociétés, dans le parc Saint-Exupéry et dans la ZAC du Chêne, cette dernière étant construite sur des terrains libérés par le départ des vols longs courriers vers l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry. Avec ces réalisations, notre ville accomplissait une reconversion économique créatrice d'emplois et de revenus, et gage d'un meilleur avenir.
Pour revenir en centre-ville :
- Continuer la rue des Essarts et tourner à droite sur le boulevard Pinel
- Marcher jusqu'à l'avenue Franklin-Roosevelt où l'on trouvera l'arrêt Vinatier des trams T2 et T5.