Ce bâtiment cache bien sa richesse et son âge. Même si son crépi gris ne le met guère en valeur par rapport aux maisons pimpantes construites autour de lui, ses murs en pisé et sa porte patinée par le temps indiquent qu’il ne date pas d’hier. Surtout, sa façade affiche une curiosité très rare dans la région Rhône-Alpes : un bouquet de saint Éloi. N’allez pas imaginer un vase avec des fleurs de toutes les couleurs ; ce bouquet-ci n’a rien à voir avec les roses ou les violettes. Saint Éloi vivait au temps du roi Dagobert, au 7e siècle. Orfèvre de métier, comptant parmi les plus doués de son temps, il aurait fabriqué le trône royal et une foule de merveilles, au point que Jésus Christ lui-même serait venu dans son atelier pour vérifier son habileté ! Devenu plus tard évêque de Noyon, au nord de Paris, Éloi fut choisi comme saint patron par les orfèvres, les serruriers, les carrossiers et surtout les maréchaux-ferrants. Pour honorer sa mémoire, et aussi pour signaler la présence d’une forge aux clients de passage, les maréchaux-ferrants prirent l’habitude d’accrocher au-dessus de leur porte une enseigne arborant une collection de fers à chevaux, de fers à bœufs, de mulets ou de baudets, de clés et d’outils montrant leur maîtrise du métier : le bouquet de saint Eloi. Certains sont de véritables œuvres d’art, des fleurs de fer et de savoir-faire dignes de figurer dans des musées.
Le bouquet de la rue Michel-Lacroix fleurit juste sous le toit de la forge. Il se compose d’un grand fer à cheval stylisé, d’où partent sept tiges métalliques terminées par autant de fers à chevaux. De quand date ce singulier bouquet ? Un historien de Bron pensait qu’il avait été forgé à la fin du 19e siècle, lorsque furent construites la plupart des maisons de l’avenue Franklin-Roosevelt et des rues avoisinantes. Mais il ne connaissait ni sa date précise ni le nom du maréchal-ferrant à l’origine de l’enseigne. Ce petit mystère vient d'être résolu. Après avoir consulté les pages du cadastre entre 1824 et 1949, et trouvé un déluge de paysans, de bouchers, de canuts, d’employés du chemin-de-fer, de maçons et même l’aubergiste Michel Lacroix parmi les propriétaires de l'endroit, c'est sur le recensement de 1936 qu'est apparu le nom d'un locataire, Augustin Brouillet, patron maréchal-ferrant. Né en 1908 au village d'Estivareilles, dans le département de la Loire, maître Brouillet arrive dans notre ville au cours des années 1920 et épouse une Brondillante dont il a une fille, Valentine. C'est entre 1931 et 1936 qu'il installe son atelier rue Michel-Lacroix, et pose la fameuse enseigne.
Augustin Brouillet n'est pas le premier à exercer le métier de forgeron à Bron, loin de là. Les maréchaux-ferrants sont apparus au village dès le Moyen Age ; en 1780-90 notre commune en compte quatre, maîtres Philibert Chambard, Jacques Robellet, Jean-Baptiste Allier et Pierre Germain. Quelques générations plus tard, dans les années 1840-1850, le seul quartier de "La Route" (l’avenue Franklin-Roosevelt) en possède deux, Jean Boule et Gaspard Mingat. Pénétrons chez l'un d'eux, Pierre Germain. Né en 1723, maître Germain décède en novembre 1796 et voit ses biens inventoriés à cette occasion. Sa maison, comme celle de la rue Michel-Lacroix, est toute petite. Elle ne compte qu'une cuisine, une chambre, des dépendances agricoles et bien entendu la forge. Celle-ci ouvre sur la rue, en prise directe avec la clientèle. A force de décennies de feu et de suie, il y fait noir comme dans une grotte, mais ce manque de lumière aide le forgeron à mieux contrôler la température du fer en fusion, en surveillant sa couleur. Autour du foyer, alimenté en air par un soufflet démesuré, se trouve un bric-à-brac invraisemblable d'outils : des enclumes, des marteaux, des tenailles, des étaux, des boutoirs pour traiter les sabots des chevaux, un stock de vieux métaux qui serviront de matière première, une montagne de fers à chevaux, sans oublier tous les objets apportés par les clients de la forge. Et puis, l'on trouve aussi une foule d'outils agricoles, des roues de charrettes, des serrures, des horloges et même parfois des armes, car le maréchal-ferrant s'avère capable de fabriquer ou de réparer tout ce qui est en fer.
Quand ils ne travaillent pas à leur forge, les maréchaux brondillants s'occupent de leurs terres. En 1796, maître Germain possède une grande vigne entourée de murs, et presse lui-même son raisin pour en faire du vin qu'il vend à des Lyonnais. Au moment de son décès, on trouve ainsi chez lui une vingtaine de tonneaux de "vin rouge nouveau du pays". En cumulant les revenus de ses vignes et de sa forge, il gagne assez bien sa vie et figure au milieu de la hiérarchie sociale du village. Il en va de même pour la plupart des artisans, dont les boutiques s'ouvrent autour de la place Curial ou le long de l'actuelle avenue Franklin-Roosevelt. Cordonniers, tailleurs d'habits, tisserands, charrons, maçons, charpentiers, bourreliers, bouchers, boulangers, ils fournissent aux Brondillants d'hier tous les objets nécessaires à leur vie quotidienne, et pour cette raison, occupent une place très importante au sein de la commune.
Pour aller à l'étape suivante :
- Continuer à marcher sur la rue Michel-Lacroix, jusqu'à l'avenue Franklin-Roosevelt.
- Tourner à droite puis s'arrêter devant le n° 169, où subsiste un ensemble de vieilles maisons en pisé des 18e-19e siècles.